Irulaane ou la face artistique de Lauriane Renaud...

Irulaane ou la face artistique de Lauriane Renaud...
Toujours un peu perchée...

mardi 1 septembre 2015

Une nouvelle ce matin, parce que j'ai mal à l'humanité...

UN JOUR, ILS NE SAURONT PLUS…



Je suis née dans un monde libre. Ou à peu près.
Eduquée dans l’idée que nous avions vaincu la barbarie, que les femmes allaient enfin devenir l’égal des hommes, que la violence était le refuge des faibles.

Peu avant ma naissance, l’avortement fut légalisé.
Alors que j’entrais à l’école, le président en place abolit la peine de mort.
J’étais adolescente lorsqu’une femme fut nommée pour la première fois 1er ministre dans mon pays.
J’étais adulte lorsque nous commençâmes à être tous interconnectés dans une toile planétaire.

Nous croyions que c’était l’aboutissement légitime de siècles de lumières peu à peu éclairantes. Tout citoyen allait enfin pouvoir disposer  de lui même dans la libre conscience. Aucun homme n’était irrécupérable. L’humanité profonde devait reposer sur le pardon, la foi en la rémission. L’art, la raison, l’amour, la communication allaient enfin nous conduire vers une civilisation apaisée, supérieure.

Nous n’avons pas compris.
Nous n’avons pas su voir.
Que toute lumière n’éclaire que dans le noir.
Que le flambeau ne perce que l’obscurité.
Et que lorsque la flamme vacille, puis s’éteint,
Il n’y a plus qu’à redouter le matin brun...

Ils commencèrent par détruire les tours…
J’ai pleuré ce jour-là pour les milliers de vies gratuitement détruites . Je n’ai pas vu ce qu’il y avait derrière… Je n’ai pas saisi que ce qu’on avait abattu en ce jour terrible c’était une idée de la sécurité et de la liberté, c’était le premier coup de bélier contre le mur de l’humanité.

Un matin, ils massacrèrent des gens qui faisaient des dessins… anéantissant à jamais notre enfance, notre capacité à rire de tout.

Les attentats se multiplièrent mais nous n’avions pas de réponses. Comment peut, doit réagir un homme face à la bestialité, à la bêtise ? Doit-il devenir aussi cruel et stupide que ses assaillants pour défendre ce qu’il croit ? Ou au contraire, leur ressembler n’est-il pas le pire des renoncements ? La justification suprême de la violence… Alors ? Se laisser massacrer et prendre le risque de revenir aux ténèbres ? Ou se battre… et devenir soi-même les ténèbres…
C’était absurde et insoluble…
Tout le monde avait son idée mais personne ne savait. Et la haine commençait à se déverser sur tous les réseaux sociaux. Internet, ce que nous avions pris pour notre tour de Babel, la construction qui devait nous unir vers le ciel, devenait une malédiction. Le réseau charriait l’ignorance, la boue et la peur. Nous nous sautions à la gorge avec des poignées de mots pour un oui ou pour un non. Nous déterrions les cadavres. Nous ne nous comprenions plus. Tout était pris de travers. Nous ne pouvions plus rire sans arrière-pensée, comme avant. Nous ne pouvions même plus dessiner. Nous étions de aveugles qui donnions des coups dans le noir.

Et puis, loin de nos frontières et comme des images d’un film d’horreur auquel on ne voulait pas vraiment croire, ils commencèrent à s’en prendre au patrimoine culturel et artistique, la preuve matérielle que nous étions des hommes, ce qui nous définissait : la capacité à s’extraire de l’instant présent pour créer du beau, de l’émotion, de l’inutile… Des temples millénaires, des constructions qui avaient résisté à toutes les invasions, à tous les cataclysmes, furent attaqués.
Ils détruisaient notre essence à coups de marteaux piqueurs, d’explosifs et d’illettrisme.

Le jour où ils entrèrent dans Palmyre, j’ai commencé à trembler. Palmyre, parce que c’était une cité légendaire et belle. Palmyre, parce que c’était un symbole, le symbole d’une femme, Zénobie, qui avait autrefois défié l’empire romain, par son intelligence et sa stratégie. Palmyre, qui était finalement tombée devant Aurélien, sans même se battre, parce qu’elle ne possédait pas de remparts. Le propre de la culture face à la barbarie…

Le matin où la tour Eiffel s’est effondrée, nous n’avions presque plus de larmes.

Le soir où le musée du Louvre s’est enflammé, nous avons regardé partir en fumée les vestiges de nous-mêmes, les yeux secs.

Peu à peu les écrans se turent.
Les livres, les tableaux et la plupart des instruments de musique furent brûlés. Ils s’acharnèrent sur les violons. Ils conservèrent le tambour…
Les écoles fermèrent.
Les femmes furent recouvertes, reléguées dans les cuisines ou offertes aux soldats.

Il y eut encore de très beaux sursauts… des marches silencieuses et fraternelles, des œuvres sublimes, des hommes et des femmes enchainés à leur non violence.
Mais nous avons lutté avec des armes d’agneaux contre les loups…

Il est temps de conclure. Ils seront là, bientôt. Mais je ne veux pas finir comme ça ! Je vais enlever tous ces voiles qui m’emprisonnent, qui me nient, qui m’annulent depuis tant d’années. Qui m’empêchent de respirer, de sentir le vent et la caresse du soleil sur ma peau. Libérer mes cheveux qui sont devenus gris sous la burqa, me peindre les lèvres en souvenir de l’élégance d’autrefois.
Vite.
J’entends leurs bottes dans les escaliers.


Irulaane, le 1er septembre 2055.

1 commentaire:

damien dierickx a dit…

je crains ma chère que vous n'ayez raison... La barbarie est à nos portes et le patrimoine mondial est en péril... Que faire face à tant de violence, devant ce déferlement de haine et d'ignorance? Nos dirigeants veulent nous faire la morale et des cours d'instruction civique... Certes, ça part d'une bonne intention mais cela suffira t il ?

Les arts sont en danger et quand l'art est en danger, on sait où cela nous mène. Grands bûchers de livres, de tableaux, abêtissement des masses pour finir par de l'endoctrinement, donc fin des différences de toutes formes

Ton texte, et bien d'autres je suppose, sont heureusement là pour nous faire réagir mais j'ai bien peur que cela ne suffise plus. Tu dis que si on prends les armes, nous devenons des bourreaux comme nos assaillants. Malheureusement je crains que ces gens ne comprennent pas d'autres formes de dialogue que la violence.

Je suis quelqu'un de non violent, mais certaines valeurs ne doivent pas être attaquées. Je veux que notre fille puisse grandir et vivre dans un monde où elle ne se voilera pas et où elle pourra dessiner, s'exprimer, penser et s'habiller sans craindre de se faire tirer dessus ou brûler ou châtier par des imbéciles à l'esprit étriqué. Et si pour cela on doit en passer par les armes, alors oui, je pense que nous devons les prendre pour nous défendre...
Merci pour ce si beau texte
Damien