Il semble que cette forme, auparavant jamais exploité par "l'être que j'appelle moi" (je rends à Marguerite ce qui appartient à Yourcenar pour l'emprunt de cette formule que j'adore), de la nouvelle poétique m'inspire assez ces derniers temps. Ne pas oublier que le mot n'est pas juste un signifié mais aussi un signifiant. Peut-être le symbole de cette métamorphose qui s'est opérée en moi lorsque mon corps (mon signifiant) est revenu taper au carreau de mon âme pour lui rappeler qu'il était aussi important qu'elle. Très Rabelaisien, tout ça...
Alors voilà un autre de ces petites unités qui s'écoutent autant qu'elles se lisent je crois.
POMPES MATERNELLES
Il tient dans ses grandes mains calleuses un bouquet de glaïeuls
De mémoire de Chupot, fleurs préférées de la famille
De mère en fille,
De petite fille en aïeul.
Il tient dans ses grandes mains tremblantes un morceau de son histoire
Ce drame familial si complexe
De trahison, d'abandon et de sexe
Gravé dans les mémoires.
Il tient sur le bout de sa langue, pâteuse et hésitante
Ce qu'il a enfin décidé de dire
Absolument sans faiblir
Jusqu'à épuisement de la plaie sanglante.
Il pose les fleurs devant elle,
Les paupières baissés sur ses prunelles,
Devant son silence glacé
Cette morgue dont jamais il n'a trouvé la clef.
Et il se lance, sans crier gare, sans garde fou,
Au garde à vous et les yeux fous.
Plus rien à perdre!
Merdre!
Tu m'as déchiré, piétiné, oublié,
Tu ne m'as pas aimé
Tu ne m'as pas donné
Tu m'as pris, tu m'as volé
Tu m'as fait croire
Tu m'as fait boire
Tu m'as bercé au nonchaloir
Tu as assassiné mes espoirs
Tu m'as fait poussé tordu
Tu m'as rendu bossu.
Tu m'as communiqué
Ton coeur glacé
Pour qu'à mon tour, je ne sache pas aimer.
Tu ne m'as pas parlé
Tu ne m'as pas écouté
Tant d'autres tu m'as préférés.
Quand j'en ai eu besoin
Tu étais toujours loin.
Quand j'ai eu faim
Tu as fermé les mains.
Quand je frappais à ta porte
Tu étais ivre morte.
J'en ai eu si souvent marre
Qu'il soit trop tard.
J'en ai eu si souvent assez
De ta culpabilité décalée.
J'ai pleuré sur trop de lettres
Qui semblaient m'ouvrir une fenêtre.
J'ai détesté ta constante ironie
Sur les ondulations de ma vie
Ta condescendance ravie
Se posant sur les affres de ma survie
Ton ricanement blasé
Entaillant mes souffrances avouées.
Je t'ai haïe.
Il tient dans ses grandes mains tremblantes un bouquet de glaïeuls
De mémoire de Chupot, fleurs préférées de la famille
De mère en fille,
Mais le fils, lui, est seul.
Il tient dans ses grandes mains tremblantes un morceau de son histoire
Ce drame familiale si complexe
De trahison, d'abandon et de sexe
Il voudrait en laver sa mémoire.
Il tient sur le bout de sa langue, pâteuse et hésitante
Ce qu'il a enfin décidé de dire
Absolument sans faiblir
Pour demander pardon à l'agonisante.
Il pose les fleurs devant elle,
Les paupières baisséess sur ses prunelles,
Devant son silence glacé
Cette mort qui sera peut-être la clef.
Et il se lance, sans crier gare, sans garde fou,
Au garde à vous et les yeux fous.
Il débranche les appareils,
Et lui glisse à l'oreille,
Juste avant son dernier sommeil:
Je te rends la pareille !
2 commentaires:
Merci pour votre texte qui m'a beaucoup touchée. Des echos poignants pour moi. Très belle chute. A bientôt de vous lire.
Amélie
Merci Amélie pour cette remarque où vous vous livrez.
Un texte poétique est donné à entendre, c'est un texte fait pour l'écho. Si, en plus, ces échos sont de l'ordre du sentiment, alors, le poète n'a pas raté sa cible...
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