Il paraît qu'il y a des gens qui disparaissent tous les jours.
Il y a ceux qui s'en vont un beau matin parce qu'ils ne savent plus comment composer avec la vie, avec leur vie, alors, ils partent et ne laissent pas d'adresse.
Il y a ceux qui se font enlever, tout simplement. Parfois, le ravisseur a l'air très gentil : c'est leur mari ! Mais on ne les revoit plus, ou presque plus.
Il y aussi ceux qui meurent, tout simplement. Ils ont bien une adresse mais elle est fixe et définitive et... ils n'y sont pas vraiment.
On se demande toujours, quand on est bien vivant, bien présent, ce qui se passerait si ça nous arrivait. Est-ce qu'il y aurait (aura) beaucoup de monde à notre enterrement ? Est- ce que les gens y verseraient (y verseront) de vraies larmes qui veulent dire quelque chose ? Si l'on diparaissait, est-ce que quelqu'un nous rechercherait ? Combien de temps il s'acharnerait ? Est-ce qu'on manquerait beaucoup ou seulement de temps en temps ? Existe-t-il une personne au moins pour qui le vide serait insoutenable, impossible à combler ?
Il y aussi ceux qui restent mais ont diparu sans qu'on s'en rende compte.
Il y a aussi tous ceux qui se perdent en chemin et qui finissent par ne même plus se manquer.
Moi, je suis comme ça je crois.
Cela fait bien longtemps que j'ai disparu.
J'ai disparu mais comme mon image était toujours la même, personne ne s'en est aperçu.
J'ai disparu en restant là. Je crois que c'est le pire qui puisse arriver : alors je suis partie pour me retrouver. Et maintenant, tout le monde croit que j'ai disparu.
Il paraît qu'il ya des gens qui disparaissent tous les jours.
5 commentaires:
Le côté obscur de la faiblesse
Il a bien fallu que l’on m’en extraie. La plus grosse difficulté a été pour eux de dégager les jambes. Du moins ce qu’il en restait. Ils ont dû découper la tôle. Des étincelles me sont tombées sur le visage. Après, ils sont parvenus à insérer la civière. Ils m’ont sanglé. Ils ont tiré un coup sec et mes jambes et moi avons été délivrés de la dislocation de la carcasse. Je ne sentais plus rien, et pour cause.
Ils m’ont chargé dans la camionnette rouge et nous avons attendu l’arrivée du médecin. Les gyrophares tournaient inlassablement. Les sirènes s’étaient tues. Sur la route, les voitures ne circulaient plus que sur une voie, au ralenti, malgré les signes répétitifs et énervés des gendarmes, leur priant pour une fois d’accélérer l’allure. Ça sentait l’huile chaude. L’asphalte de la chaussée était parsemé d’éclats de verre, de morceaux de caoutchouc déchiré, de fragments de plastique. L’avant de la voiture n’était plus qu’un amas de tôles froissées, comme on peut lire dans les journaux. C’est dommage, elle méritait bien de rouler encore. Il faudra appeler une dépanneuse, faire monter ce qu’il en reste sur la plate-forme. Il faudra ramasser les débris. Balayer la route. Rouvrir la circulation dans les deux sens. Tendre entre les arbres un bandeau de signalisation. Rouge et blanc. Les premiers jours seulement. Pour signifier aux conducteurs de passage qu’il s’est ici passer quelque chose. Il faudra prévenir ma famille.
Je les ai vus, deux par deux, ou presque, qui formaient le cortège. J’ai imaginé leurs yeux gonflés et rouges. Leurs traits tirés par le manque de sommeil. Leurs vêtements sombres. J’ai vu ma femme soutenue par sa mère, mes enfants tenus par la main. Si petits. Ils les auront vêtus de bleus, l’habit noir ne faisant pas partie de leur garde-robe. Je les ai vus, les autres, ma mère, mon père à ses côtés, pour l’occasion. Quelques amis. Les pieds traînants sur le gravier du chemin. Le ciel gris, évidemment. J’ai vu le corbillard passer la grille. S’arrêter dans l’allée. Ils se seront rassemblés à l’écart. Ils auront un peu attendu. Senti quelques gouttes. Se seront retenus, derrière leurs lunettes noires. Le cercueil aura enfin été placé sur des trépieds, près de la fosse. Un homme dira un mot. Un professionnel, un homme de circonstances. Puis ils m’auront fait glisser dans le trou, tout doucement, à l’aide de cordes. L’un d'eux proposera une panière de roses, et demandera à la famille de procéder. A la famille, uniquement, parce que c’est l’usage… Ma femme tiendra les enfants par les mains, elle leur donnera une rose à chacun. Ils s’avanceront. Et sans trop bien comprendre, ils imiteront le geste de leur mère. Les autres suivront… Après, on ira boire un verre. Ou plutôt, ils iront boire un verre. Moi, je resterai là, avec les hommes de circonstances. Sans regret, puisque je serai mort.
La douleur s’est d’abord localisée dans la poitrine, du côté gauche. Je ne m’en suis pas inquiété, à quoi bon ? Puis j’ai senti comme une oppression envahissante. Mes mains ont cramponné le volant. J’étais très fatigué. Une fatigue énorme. De celles que le sommeil n’apaise pas. Une fatigue qui vient de loin et qui n’a pas de solution. Ou plutôt qui a la solution qu’on sait. J’ai croisé peu de voitures. Il faisait bon. Le soleil traversait les feuilles des arbres, par intermittence. J’ai d’abord pensé à mes enfants. Puis à ma femme. Et c’est tout. Je me suis demandé ce qu’ils allaient devenir. Je me suis dit que les assurances couvriraient les premières dettes. Que la maison serait payée. Qu’ils auraient du temps pour se retourner. J’étais tellement fatigué. Ensuite, j’ai senti cette chose en moi, cette chose impalpable, plus légère qu’un frisson, plus douce que l’oppression. Je l’ai sentie monter. Je la connaissais bien, cette sensation fragile, pour l’avoir si souvent vécue. Je l’aimais bien. Je la connaissais par coeur. Mais aujourd’hui, là, juste avant, je n’ai pas pu la supporter. Je savais son chemin, de la poitrine vers les épaules, et des épaules jusqu’au sommet du crâne. Je savais qu’à l’instant même où les larmes viendraient, elle disparaîtrait. Je faisais durer le plaisir, si l’on peut dire. Mais je ne voulais pas arriver jusque là. C’était trop facile. S’il suffisait que mes yeux soient embués de larmes pour que l’émotion s’apaise, et bien non, pas aujourd’hui, pas encore…
J’ai repensé à mes enfants. Leur ai demandé de me pardonner. Je savais le mal terrible que j’allais leur infliger. Aujourd’hui et pour le reste de leur vie. J’ai écrasé la pédale de l’accélérateur. Les arbres ont défilé à vive allure. Les marquages blancs de la route encore plus vite. Je connaissais précisément l’endroit où la glissière de sécurité manquait. J’accélérais davantage. Et là, au moment où l’émotion était la plus forte, où la fatigue la plus lourde, l’oppression la plus intense, j’ai revu le visage de ma femme, et les larmes sont venues. Abondantes. Aveuglantes. J’ai fermé les paupières, les ai rouvertes, et un torrent a glissé sur mes joues. Ça y est. C’est fini. La douleur de la poitrine s’est dissipée. Il ne m’est resté que le sanglot. La grimace. Le hoquet. J’ai regardé la glissière. Je n’ai pas brusquement tourné le volant vers la droite, vers l’arbre, le platane aux sonorités prédestinées. Le platane qui m’aurait accueilli, ma voiture et moi. Mon pied a soulagé la pédale de l’accélérateur. Le bruit du moteur s’est radouci. J’ai dépassé l’endroit. Il n’y a pas eu d’impact. Il n’y a pas eu cette autre voiture arrêtée sur le bas-côté. Ces feux de détresse enclenchés. Cet homme qui a couru pour traverser la route. Qui a regardé à travers la portière déformée. Ce coup de téléphone. Cette voix paniquée. Il n’y a pas eu de circulation interrompue. Pas de gendarmes. Pas de pompiers. Il n’y a pas eu l’attente du médecin qui devait déclarer mon décès. J’ai continué ma route en essuyant mes yeux du revers de la manche, en serrant le volant, et les dents.
Mes enfants, ma femme, pardonnez-moi cette faiblesse.
Merci Franz pour cette nouvelle. Elle illustre merveilleusement bien mon petit texte. Elle parle de ces pertes, de ces manques, de ces gouffres intimes dont nul autre que nous n'est jamais le témoin.
C'est pour toutes ces obscures raisons je crois qu'on devient écrivain : pour hurler en silence, pour continuer d'afficher l'image rassurante de tous les jours, tout en gardant quelque part la preuve de notre folie, de cet abîme qui s'ouvre régulièrement sous nos pieds mais que nous tentons de combler par des mots.
Moi je disparais, toi tu meurs... et personne ne le voit !
... plus maintenant...
Franz, ce texte est poignant. La douleur sonne juste. Le cri également.
Après le mal, vient la purification...Après le fantôme de l'esprit, le vide de cette carapace, vient le remplissage, le don...après la mort, il y a la vie...
Pour exister il faut savoir qui on est...avant même d'attendre le regard de l'autre.
Si si, je vous assure...vous existez bien, l'un et l'autre...par vos mots, du moins, vous existez...
Je vois que tu aimes bien enqueter sur tes visiteurs... alors, je reste dans l'ombre.
J'aime bien celui-là. Mais t'es trop lumineuse pour disparaître vraiment, toi !
Enregistrer un commentaire